« Mais qu’on lui retire twitter ». J’ai souri en entendant cet appel lancé il y a quelques jours, par un analyste sur les ondes de BFM Business. En l’occurrence, le chroniqueur ne parlait pas de Donald Trump – cela aurait pu – mais d’Elon Musk, patron de Tesla.
Il faut dire que celui qui est aussi le fondateur de SpaceX a vécu un été 2018 des plus compliqués. En partie par sa faute. En cause : deux faux pas en matière de communication, démontrant au passage combien il était nécessaire pour un dirigeant, de savoir retenir sa parole (…et de couper twitter de temps en temps). Cette précaution s’avère encore plus vraie lorsqu’on dirige, comme c’est le cas ici, une compagnie en proie à des difficultés sur nombre de ses fronts : production, réputation, finances.
Industriellement, Tesla est déjà empêtrée. Si le carnet de commande de la Model 3 est plein, la firme peine à s’approcher des 6 000 unités qu’elle doit produire par semaine. Elle ne remplit pas ses objectifs, ne satisfait pas ses clients et c’est au prix d’un très gros effort que le constructeur a pu doubler sa production au dernier trimestre. Niveau qu’il lui faudra au moins maintenir.
Financièrement, c’est très compliqué aussi. Depuis sa fondation en 2003, Tesla n’a jamais été rentable et continue de perdre – lu dans un article du Monde daté du 30 août – près de 250 millions de dollars par semestre. Un gouffre. Les banques américaines n’ont pas vraiment confiance, les taux d’emprunts s’envolent et une partie très importante du capital est dispersée en titres actions, soumettant la firme aux aléas spéculatifs.
Mais cet été, c’est bien la communication d’Elon Musk en personne qui a plongé Tesla dans les difficultés. Le premier épisode de la crise estivale tient à l’annonce faite dans un simple tweet, le mardi 7 août, du retrait de Tesla de la bourse américaine. Un tweet qui pose quatre sérieux problèmes.
- Le premier problème tient à la forme. Le canal de communication choisi par Elon Musk n’est pas commun pour une information financière de cette importance. Mais surtout il n’est pas réglementaire. Il a donc poussé le gendarme de la bourse américaine (la SEC) – qui suspecte une possible manipulation du cours de l’action – à se saisir du dossier. Pour fonder son enquête, la SEC s’appuie notamment sur le bond spectaculaire enregistré par l’action Tesla dans la journée du 7 août, situation qui avait d’ailleurs entraîné la suspension du titre à Wall Street.
- Le deuxième problème suscité par cette annonce touche au dossier sur le fond. L’effet de surprise passé, le flottement s’est installé alors que les milieux financiers attendaient des précisions sur l’opération de retrait de la bourse. En trois questions simples : qui allait sécuriser ce retrait, avec quel argent et quand ? Mais, aucune information sérieuse n’est venu confirmer le retrait du titre.
- Troisième problème : en ne l’informant de ses intentions, Elon Musk a pris de court son conseil d’administration et ouvert une brèche supplémentaire dans sa cote de confiance auprès des détenteurs d’une partie du capital. Et il a peut-être, scellé son avenir.
- Le quatrième problème de communication est posé par le retrait final du projet. Ce rétropédalage renforce les doutes de la SEC et interroge les milieux d’affaires sur le discernement et les capacités de pilotage d’Elon Musk. Fin du premier acte.
Le deuxième épisode de la crise estivale s’est niché quelques jours plus tard dans les colonnes du New York Times. Elon Musk y livre des confessions certes poignantes, mais désastreuses pour son image de dirigeant. « Année cauchemardesque », « somnifères », « cadences infernales »... Ces confidences inattendues dépeignent un patron dépassé par la situation, qui admet ne jamais se reposer et camper la nuit dans son bureau afin de veiller en personne, sur le rythme de production des Model 3. Après l’affaire du tweet, cette interview étonnante sur le fond, n’est pas pour rassure.
Volonté de buzz entièrement calculé ou séquence 100% loupée : c’est en tout cas une phase de communication bien difficile que viennent de traverser Elon Musk et ses 30 000 collaborateurs. Car au-delà du coup de pub, il y a devant lui les perspectives financières et judiciaires. Signe des mauvais temps, les démissions s’accumulent chez les cadres dirigeants (RH, comptabilité, communication) traduisant une rupture de confiance au plus haut niveau.
Toutefois, des solutions sont sur la tables. Sur le plan financier, les grandes banques américaines (JP Morgan Chase, Goldman Sachs, Morgan Stanley et Citigroup) travailleraient sur un montage permettant de sécuriser le capital de Tesla, en limitant le nombre de petits porteurs. Le coût : entre 10 et 20 milliards de dollars d’achat de titres. Côté organisation interne, Elon Musk vient de promouvoir un français en la personne de Jérôme Guillen, pour présider la division automobile de Tesla. Un recrutement qui permettra d’une part, d’enlever de la charge sur les épaules de Musk et d’autre part, de regagner la confiance de l’ensemble des parties prenantes tant en interne qu’en externe (actionnaires, salariés, banques…). C’est une partie de la solution.
Reste à voir si Jérôme Guillen, pourra porter les autres remèdes qui feront, enfin, gagner Tesla.
Auteur : David Reisch